Travaux                    

La Nuit des Quarante-Trois Fois



2023-24


Une pause. Un creux.
Des ombres.

L’errance nocturne me promène dans les rues de ma ville, à la recherche – de quoi ? De poésies, de rêves, de réflexions, d’autres histoires, une sensation de liberté. Un espace qui me permette de faire taire mon angoisse née d’un système qui encombre mes pensées en promouvant productivité, contrôle et surveillance. Mais ce système ne s’arrête plus à la tombée de la nuit, il est prolongé par les lampadaires qui tentent de faire le jour en répandant leur lumière aseptisée et stérile. En avalant les ombres, ils avalent nos imaginaires.

Bien que ce soit pour des considérations économiques, et non écologiques ou philosophiques, la Ville a décidé d’éteindre ses policiers luminaires entre minuit et 5h, laissant respirer la nuit. Enfin les ombres s’étendent, les mystères englobent le monde et mes sens s’émancipent. « On se perd dans la nuit non pas parce qu’on y voit moins bien (...), mais parce qu’il y a beaucoup à y voir et peu à y connaître. »* Les ombres sont des écrins pour des narrations autres, libres, ou pour des poésies. Elles nous accueillent avec indulgence, nous et nos songes, et nous invitent aussi à regarder en nous-même, par manque d’autres repères. Là où les lampadaires imposent un certain rapport à la nuit, et donc au monde, il me semble que les ombres nocturnes nous poussent à réfléchir, à projeter nos pensées ou nos désirs, nos rêves ou nos révoltes, à considérer l’infini, l’intangible, le flou. L’éclairage public nocturne devient alors l’allégorie d’un système qui désire le contrôle jusque dans nos imaginaires.

Alors je m’éclipse dans l’après-minuit non-éclairé pour me laisser aller au sublime du regard nocturne, et y admire des feux rouge-phare, projette des poèmes colorés, cherche des creux, me réapproprie des affichages publicitaires inféconds en les obscurcissant, encharbonne des murs, paresse, grimpe aux ombres des arbres.

*Michaël Fœssel, La Nuit - Vivre sans témoin, p.82, Éditions Autrement, Paris, 2017